Nicolas Venture visite la véritable Grotte Chauvet

Il y a des lieux qui ne s’ouvrent qu’aux initiés, des cavernes si précieuses qu’aucun pas ne s’y pose sans autorisation exceptionnelle.
La Grotte Chauvet 1 en fait partie.

C’est ici, dans ce chef-d’œuvre de l’humanité verrouillé comme un laboratoire nucléaire, que mon ami Nicolas Venture, spéléologue chevronné, a eu l’honneur rare de pénétrer, guidé par nul autre que Jean-Marie Chauvet lui-même.

Ce qu’il a vécu, ce qu’il a ressenti, ce qu’il a vu — il l’a couché dans ce texte brut, sans filtre.

À lire comme on entre dans une grotte : avec respect, humilité… et une lampe frontale bien chargée.


Lien pour visualiser la grotte
Le lien ci-dessus vous permettra de visualiser les salles de la grotte Chauvet et découvrir la beauté exceptionnelle de ce lieu.


2001 : Une opportunité unique… refusée

Cela fait un peu plus de sept ans que la grotte Chauvet a été découverte, nous sommes en 2001, et, par une chaude journée d’été, alors que je me nourris des divers récits d’explorations et d’études scientifiques depuis sa découverte en décembre 1994, en arrivant au travail, un collègue qui s’occupe des plannings des sorties spéléos et de canyoning, m’annonce que nous sommes invités à faire la visite de la véritable grotte Chauvet dans une semaine. Nous serions un petit groupe d’élus privilégiés.
Aaaah, les récits de Jean-Marie Chauvet (Jean-Marie dit Jeannot, que je ne connais pas encore personnellement) d’Eliette Brunel et de Christian Hillaire me donnent tant envie de la découvrir à mon tour…
Eh bien, ce jour est devenu possible, et pourtant… Après mûre réflexion, je vais décliner l’invitation !
Si si, aussi dingue que cela puisse paraître, je ne veux pas être un privilégié (de quel droit ?) et en plus j’ai peur qu’elle devienne ma regrettée bien-aimée, qui laisserait dans mon cœur un manque de ne plus jamais pouvoir la visiter.

Le courrier à Madame Baffier… ou l’attente volontaire

Il y a plusieurs années en arrière, il était possible pour n’importe quel citoyen de nationalité française d’adresser un courrier de motivation à la conservatrice de l’époque (l’adorable madame Dominique Baffier) pour mettre en avant son désir de visiter la grotte Chauvet, et, en faisant preuve de patience, la candidature finissait par arriver en haut de la pile.
Mais attention, il fallait se tenir prêt pour se rendre disponible le jour où elle nous appellerait pour nous communiquer la date. Cela pouvait prendre de deux à cinq ans…

Présentations : qui suis-je ?

Alors voilà, pour ceux et celles qui ne me connaissent pas, car je suis un inconnu du monde excepté pour mes parents et amis, je suis Nicolas Venture, un bon ami d’Alain Térieur, l’explorateur un peu fou qui sévit partout en Ardèche et dans les départements limitrophes, mais seulement quand il réussit à prendre son courage à deux mains, mais plus souvent à demain.
Il visite les grottes aménagées et moi je visite les parties non aménagées de ces mêmes grottes.
Diplômé d’État et fédéral en spéléologie et en canyoning, j’aime sortir des sentiers battus pour partir à l’aventure avec mon amoureuse Susu Terrain (qui se prononce Sousou).

2016 : Jean-Marie me rappelle

L’été 2001 est passé et c’est seulement en 2016 que va se représenter pour moi la possibilité de visiter la grotte Chauvet et que je vais devenir cette fois incapable de refuser, car la proposition vient directement de Jean-Marie, à la suite d’un adorable coup de fil.
Depuis 2001, lui et moi avons fait de la spéléo ensemble et nous avons même inventé deux nouvelles galeries dans deux grottes et avens déjà connus, et une rivière souterraine près du village de Grospierres en Ardèche.
Je dois avouer que j’ai vraiment eu un sincère coup de cœur pour l’homme qu’il est.
Un vrai gentil, serviable et à l’écoute des besoins de chacun.
Pourtant les feux des projecteurs et de l’amour auraient pu le rendre aigri et imbu de sa personne, mais non ; au contraire, cela n’a fait que ressortir ses qualités humaines.
Je n’ai jamais voulu utiliser notre amitié pour accéder à la visite et je ne lui en ai jamais fait la demande ni fait allusion. J’aime les amitiés sincères et non conditionnées.

La veille de l’entrée

Alors, après une nuit bien agitée à imaginer ce que je pourrai ressentir intérieurement en me retrouvant dans une telle cavité, avec ses incroyables peintures et gravures qui ont si bien vieilli contrairement à ma femme Susu (car quelle tête pourrions-nous avoir après 36 000 ans d’existence ?).
Si ce n’est très flétri, ou même plutôt bien mort, alors que les peintures de la grotte Chauvet restent encore à ce jour si parfaites, si fraîches.

Le jour J

Bon, enfin, voilà, rendons-nous dès maintenant au jour J.
Il est 11 h 35, nous sommes en Ardèche sur la commune de Vallon Pont d’Arc et nous voilà dans le cirque d’Estres.
C’est la boucle que la route des gorges de l’Ardèche suit d’un côté et de l’autre du Pont d’Arc.
Nous nous garons dans le lit de l’ancien cours de la rivière, avant que la roche ne cède sous l’érosion et permette la création naturelle de l’arche nommée le Pont d’Arc. Là où certains décideurs ont imposé il y a peu de temps un aménagement très controversé du site qui entoure le Pont d’Arc, tout en rendant le parking payant, au plus grand bonheur des touristes qui rouspètent d’avoir le sentiment d’être pris pour des vaches à lait.
Mais bon, ne venons pas entacher ce récit d’exploration avec ce qui salit et détruit la beauté de la vie, à savoir les jugements et les regrets. Donc je ne vais pas juger les décideurs, ils devaient avoir leurs raisons et Dieu sait quels avantages ont-ils perçus…!?

La découverte de l’entrée naturelle

C’est là, en hauteur, que l’entrée naturelle de la grotte se trouve : elle domine le Pont d’Arc et l’Ardèche joyeuse. Découverte donc par Jean-Marie, Eliette et Christian en plein mois de décembre 94, le 18 décembre pour être précis, au moment où les courants d’air qui s’échappent des grottes semblent chauds en comparaison à la température de l’air extérieur.

Et c’est justement cet indice qui nous anime pour creuser, tels des chiens fous dans un jardin à la recherche d’un os bien savoureux. Mais là, pas touche aux os de la grotte Chauvet !!!

La montée vers la grotte

Nous grimpons par ce petit chemin escarpé et la lumière du soleil perce dans le feuillage des chênes verts, nous longeons une vire montante où les bouquetins se baladaient par le passé. La pente est bien raide et je pense à Jean-Marie qui, dans les premières semaines de la découverte, devait réagir rapidement et grimper jusque la grotte à chaque fois que l’alarme sonnait en plein milieu de la nuit.

Une fois compris que ce n’était que le passage des chiroptères, un filet a suffi pour qu’elles déménagent dans un porche à côté et laissent Jean-Marie dormir un peu la nuit.

Pause et visites annexes

Après une vingtaine de minutes de crapahut, nous voilà enfin devant la grille du local technique où nous nous installons pour manger tous ensemble. C’est un instant privilégié durant lequel Jean-Marie et Eliette vont m’emmener voir trois autres entrées de grottes bien cachées, si bien cachées qu’ils n’arrivent pas à retrouver l’une d’elles.

Ce jour-là, les deux guides officiels qui travaillent pour l’État nous accompagnent.

Passage sécurisé et entrée dans la grotte

Nous parcourons la passerelle accrochée à la falaise, suspendue et protégée par de gros filets de câbles contre les chutes de pierres ou la chute de mon pote Alain Térieur s’il venait à s’engager dans ce genre d’endroit tant il est maladroit.

Les caméras nous scrutent, car c’est le site le plus surveillé de France et de Navarre. Identification faciale et digicode pour ouvrir la porte (porte blindée de type sous-marin).

Ça y est, nous sommes dans le premier sas d’entrée. Nous nous équipons de combinaisons style covid phase terminale et, une fois que tout le monde est prêt, le cœur battant la chamade, nous passons la seconde porte et nous nous engouffrons accroupis un à un dans le petit tunnel, ce même passage étroit (mais agrandi depuis) qui avait permis à l’époque et après deux tirs à l’explosif et quelques centaines de coups de massette à Eliette de passer en première pour arriver devant le vide tout noir d’une grande salle mesurée par l’écho de sa voix.

Elle s’était empressée d’agrandir l’étroiture pour que ses deux acolytes la rejoignent au plus vite.

La descente dans la salle principale

À l’aide d’une échelle de huit mètres avec un stop-chute accroché au baudrier, la descente se fait en toute sécurité. J’imagine mon ami Alain ici… Un rire étouffé s’échappe de ma bouche.

D’ailleurs, à quand un ascenseur ? Franchement ! Que l’évolution fasse son chemin, nous n’allons pas rester à l’âge de pierre quand même ! Et un snack ? Je ne comprends pas pourquoi il n’y a toujours pas de parking au pied de l’entrée naturelle ?! Je signale au passage que le chemin pédestre pour grimper jusque la grotte est interdit au public sous peine d’amende… C’est vraiment vrai !!!

Un à un, nous descendons, et nous voilà maintenant tous ensemble au pied du puits. Une passerelle amovible tout en inox, installée par les copains spéléos il y a quelques années, protège les sols à l’exact endroit où avaient été déroulés les rouleaux de plastique noir (les lais) utilisés normalement dans les vignes et qu’Eliette avait apportés lors de la découverte, en bonne agricultrice qu’elle est et surtout en consciencieuse protectrice depuis toujours des merveilles souterraines.

Avec son petit groupe d’amis, elle avait souvent la chance de découvrir. Les inséparables aventuriers et leur gigantesque palmarès de découvertes.

Dans tous les cas, la vie est bien faite, car, à ma connaissance, seuls ces trois découvreurs étaient aptes à inventer la grotte Chauvet. Dans le cas contraire, des débutants auraient certainement saccagé le lieu sans même le vouloir, juste par ignorance ou maladresse.

Pensées et émotions

J’ai une pensée pour Susu, ma tendre et chère, qui a dû rester à la maison, car la chance n’est pas donnée à tout le monde… Mais un jour, je sais que la gentillesse d’Eliette sonnera à notre porte, c‘est juste que nous ne lui avons jamais avoué notre désir de la visiter ensemble ou au moins que Susu puisse, elle aussi, à son tour la visiter.

Au bas de l’échelle, la salle s’ouvre donc devant nous, et la première chose qui me frappe, ce sont ces coulées stalagmitiques incroyablement brillantes, immaculées blanches, en plus des sols de couleurs orange vif.

C’est magnifique, sublissime, c’est dans cette salle que se trouve l’ancienne porte naturelle, le porche d’entrée de la grotte qui était encore ouvert il y a 21 502 ans et 3 heures 14 mn, avant même que l’abrupt rocheux ne s’effondre naturellement pour empêcher la venue de l’être humain et des centaines d’animaux dont le magnifique et somptueux plantigrade Ursus speleus (ours des cavernes).

Il a laissé des traces comme ses couches, non pas de bébé, mais les fameuses bauges où l’on peut même voir l’empreinte de leurs poils dans les argiles et les nombreuses griffades sur les murs ainsi que tous les crânes et vertèbres qui jonchent les sols, dont une vertèbre magiquement recouverte de cristaux.

Incroyable de voir tous ces os au sol, dont certains sont calcifiés à la perfection, comme ce crâne de bouquetin retourné avec ses cornes majestueuses. Quelle beauté la nature offre à la conscience qui pénètre ces lieux.

Lorsque l’on sait que ce sont plus de 447 représentations d’animaux qui sont comptabilisées avec 355 identifiées avec certitude. (Certitude travail au CNRS de Moulis en Ariège).

Les mains rouges et le cheminement

Nous voilà à suivre le cheminement, et au fond de la salle des bauges, sur la droite, un culs-de-sac rocheux sur lesquels sont apposés des mains positives et négatives à l’ocre rouge.

Mon état intérieur commence à être réellement d’un autre monde. Je sens mes cellules vibrer de plus en plus et mon esprit s’envoler. Le mental laisse apparaître une pensée qui s’exprime en questionnement :

« Si je me sens ainsi alors que nous ne sommes qu’au début de la grotte et que je n’ai pas encore vu les dessins les plus incroyables, mais dans quel état vais-je me retrouver à la fin de la visite ? »

La galerie noire

Nous revenons un peu sur nos pas et nous nous baissons maintenant légèrement pour entrer dans la galerie noire obscure qui s’avance.

Les cristallisations sont de plus en plus belles, avec tant de couleurs flashantes pour certaines et toujours cette dominance orangée qui se mélange si bien avec les dégradés d’argile rouge, de beige, de marron, de blanc étincelant et de bleu !

Ah non, ça, c’est le casque du guide !!!

Premières peintures et l’émotion

Nous sommes maintenant devant une petite peinture, deux traces de doigts à l’ocre rouge, celles-là même qui ont fait s’écrier Eliette le premier jour de la découverte :

« Ils sont venus, ils sont venus ! »

Chose à laquelle n’avaient rien répondu Jean-Marie et Christian, car ils avaient tout de suite compris :

« Ils sont venus, ils sont venus le temps des cathédrales ! »

Et non, ils sont venus, les hommes d’avant, il y a très longtemps, des millénaires. Ils sont venus et ils ont peint les murs comme des jeunes aujourd’hui pourraient taguer la cage d’escalier de leur immeuble… Sauf que la signification n’est pas la même.

Comme peuvent s’entendre sur le sujet Jean Clottes et Lewis Williams, deux éminents préhistoriens de renom, l’art pariétal dans Chauvet est un art chamanique, un lieu de transe, de communion avec le grand Tout.

En même temps les jeunes qui peignent le bas des immeubles peuvent être parfois en transe avec la fumette…

Je suis maintenant et naturellement sous LSD, je me sens vraiment profondément touché émotionnellement par le lieu, avec une certaine impression de déranger la vibration de la grotte.

Je suis accompagné par les trois inventeurs, ainsi que les deux guides officielles de la grotte Chauvet-Pont d’Arc. Les guides font leur travail et tentent d’expliquer les dernières recherches, celles-là même que l’on trouve dans les rapports scientifiques et peut-être dans Pif Gadget, mais je ne suis pas vraiment sûr.

Bon, je dois avouer que je n’ai pas très envie d’entendre parler, car la grotte se prête à la méditation, au silence, à la sérénité, cette quiétude qui devait inspirer les artistes ou l’artiste…

Beauté des dessins et réflexions

Dessins de rhinocéros, de hyènes, d’insectes inconnus et tant d’autres. Quelle beauté et simplicité ou complexité pour certains traits.

Mettre des mots, tenter d’expliquer ce qui se ressent et non se comprend, risque de limiter grandement le message vivant, mais bon, nous sommes dans une société qui sur-intellectualise le monde et ne donne de valeur qu’à la connaissance et c’est justement pour cette raison que nous avons perdu le contact avec la nature.

Voyage psychédélique et rencontres imaginaires

Alors que je viens de reprendre une deuxième dose de LSD et trois shots de vodka fraise-banane-chocolat… Je me trouve dans un autre monde, un monde si spirituel qu’un homme préhistorique pourrait apparaître au milieu de la galerie et me servir à boire tout en me faisant la conversation, que je n’en serais même pas étonné.

« Salut moi c’est Pierre, je suis le fils de Pierre mon père et de Pierre ma mère, et d’ailleurs mes parents ont eu un autre enfant, Pierre Leblond, mais il est mort il y a deux lunes, noyé par un Mammouth qui avait la diarrhée alors que Pierre faisait la sieste avec sa femme Pierre. On peut dire que le mammouth a fait une pierre deux coups. Les corps ont étaient enterrés sous un tas de pierres, avec une grosse pierre au-dessus. Nous appelons ça un Dolmen ou un Dolwomen, ou bien si Pierre n’est pas genré : un Dolwowomenmen».

Grrrr !!! J’ai rien compris.

Exploration de la salle Brunel

Bon, revenons-en à nos concrétions ; nous voilà donc toujours dans la salle Brunel à avancer pas à pas au cœur de cette obscurité enveloppante, que la lumière de nos lampes pourfend, donnant ainsi un spectacle qui ne cesse de m’émerveiller, car la grotte est aussi belle en termes de cristallisations qu’en termes d’arts picturaux, gravures et mise en scène des éléments matériels comme les ossements.

Je me sens littéralement enveloppé par l’ambiance secrète et majestueuse du lieu.

Le massif stalagmitique en forme de hibou

Nous sommes maintenant devant ce gros massif stalagmitique qui a été façonné pour ressembler à un énorme hibou de surveillance, son regard en coin nous dévisage.

Tout est là pour nous rappeler d’avoir une conscience propre et sereine, pas de faux pas ! Sinon tu périras !

La galerie du cactus et ses dessins rouges

Nous entrons maintenant dans la galerie du cactus, ce nom donné en raison de la présence d’un stalagmite assez fin et grand qui donne ce sentiment de paysage de l’ouest américain, mais Dieu merci sans aucun cow-boy à l’horizon, sinon la grotte serait transformée en saloon avec Pierre en barman.

C’est dans cette galerie que se trouvent justement les deux petits traits à l’ocre rouge.

Les parois accueillent des esquisses d’ours comme celle de la mère et de son petit… Émouvant de voir un lieu qui a pu accueillir les vivants tout comme les défunts…

Sur un mur orangé, j’aperçois les traits d’un mammouth et d’un lion. Difficile de les imaginer vivre ensemble dans ce même monde…

Le couloir Carole et ses mille feux scintillants

Nous arrivons dans le couloir Carole (du nom de la fille d’Eliette, créatrice de l’entreprise Chèvres and Co) : le sol est tapissé de mille feux scintillants, c’est sublime, car n’oublions pas que la plus merveilleuse des artistes reste et restera toujours la nature, même si nous pouvons dire que l’être humain incarne cette nature.

C’est dans ce couloir et comme dans tous les couloirs de maison que les familles accrochent les peintures ou les dessins des enfants pour la fête des pères et des mères.

Les dessins de ce couloir naturel sont toujours à l’ocre rouge et font apparaître comme des insectes, dont un qui ressemble étrangement à une araignée gigantesque… Vu la taille, cela ne donne pas envie de la rencontrer !

L’araignée géante et la nature étonnante

Même s’il en existe une à ce jour, grosse comme le dessin, l’Hétéropoda maxima, la plus grande araignée du monde, qui vit dans les grottes d’Indonésie, avec ses 33 cm de diamètre, la taille d’une Margherita, elle force le respect de tous.

Une araignée qui chasse ses proies en courant (elle fait le bruit d’un cheval au galop) et qui saute pour attraper les criquets qui font trois fois la taille des criquets européens, bien évidemment.

Le panneau artistique et la répétition des motifs

Quelques mètres plus loin, nous voilà maintenant devant le premier grand panneau qui semble faire office de répétition, de brouillon avant d’effectuer le final artistique.

Mains positives/négatives, lions, mammouths, rhinocéros, ours, chevaux et même un cervidé… C’est incroyable, car les traits sont simples et toujours faits à l’ocre rouge.

Mon état intérieur commence à ressembler à je ne sais quelle consommation de psychotrope, mais il est clair que le mec qui m’a vendu ça, il rigole pas sur la qualité !!!

La technique des mains négatives et le pochoir

Étonnant de voir aussi des mains négatives, effectuées avec la technique qui consiste à mettre dans sa bouche de l’eau saturée d’ocre et à souffler sur la main posée contre la paroi.

Le résultat est parfait, nous voici devant le premier pochoir connu.

Galerie du cierge et couleurs chatoyantes

Toujours cette grande présence d’ossements au sol, dont une tête d’ours magnifiquement cristallisée…

Elle annonce notre arrivée dans la galerie du cierge, une salle dont les couleurs sont si chatoyantes que l’ivresse de la beauté fait tourner la tête.

Premiers mouchages et découverte de la salle Hillaire

Les premiers mouchages de torches sont visibles sur les parois.

La passerelle nous amène maintenant dans la salle Hillaire avec ses nombreuses fresques gravées, et, en passant juste au-dessous du plafond et en levant les yeux, voici une nouvelle ma gravure préférée, un hibou (certainement un grand-duc) qui a été gravé dans du Mondmilch (lait de lune, un calcaire altéré par une grande concentration d’humidité).

Une sorte de pâte humide (la pâte à modeler venait de voir le jour) et le tracé des doigts montrent que la matière a été poussée jusqu’au bout du trait, ce qui la concentre en un petit paquet qui reste en équilibre.

Si toutes sortes de personnes pouvaient entrer ici dans la grotte Chauvet, il y aurait des chances pour qu’un jour un allumé du ciboulot s’amuse à plonger ses doigts dedans tout en agitant ses mains dans tous les sens. Le bon côté des choses, c’est que l’art abstrait serait né !!!

Le panneau des chevaux, aurochs et autres animaux en mouvement

Bon, ça y est, le sérieux est là pour nous rappeler notre insignifiance.

Nous sommes devant le panneau des chevaux, aurochs, cervidés, panthère, bison, et tous en mouvements, voire au galop pour certains.

Ce panneau est pour moi le plus beau de toute la cavité, la peinture la plus folle que j’aie jamais vue de ma vie. La fresque semble littéralement s’animer dans le faisceau de nos lampes.

La technique du dessinateur qui représente l’animal en plusieurs dessins fait croire au cerveau que les animaux sont en mouvement, et le mouvement s’anime en direction d’une toute petite salle au milieu de laquelle se trouve un rocher plat qui accueille, tel une table basse Ikea (la Frötorp à 69 € sans les pieds, Allée 2), un crâne d’ours avec ses longues dents du devant qui s’élancent vers le sol.

Une bonne cinquantaine de crânes d’ours sont disposés de façon esthétique autour de ce rocher et des banquettes d’argile en arc de cercle sur lesquelles il est possible de deviner que le tassement des argiles a été produit par le poids des fesses posées dessus.

Que faisaient-ils ? Était-ce une procession, un rituel ou tout simplement la troupe de théâtre du coin ?

Et d’ailleurs, c’est à ce moment-là, à l’entracte, qu’une ouvreuse apparaissait en criant : « Bonbons, caramels, esquimaux, chocolats… ».

Aïe, je pense que cette fois le 28ᵉ shot de vodka a eu raison de mon esprit chamboulé, ou alors c’est peut-être la banane !

Silence, rituel et émotion

À travers le silence de l’esprit, le lieu m’enseigne qu’un rituel devait se dérouler ici, alors que les explications rationnelles tentent de faire croire que les ossements sont le résultat d’un enfant qui jouait…

Je préfère le silence et de loin !

Il n’empêche que c’est à cet endroit même que la plupart des visiteurs versent la larme d’un trop-plein d’émotions.

Il est impossible à l’esprit pensant de se représenter les gens de cette époque en train de communier avec les éléments de ce lieu majestueux, mais il est possible de ressentir leur présence, avec ce sentiment qu’ils viennent juste de quitter la salle pour aller soulager leur vessie.

C’est peut-être d’ailleurs grâce au fait de prendre les vessies pour des lanternes qu’ils pouvaient s’éclairer facilement.

L’éclairage à la préhistoire : bougies et torches

Il est sympa de savoir d’ailleurs que les humains de cette époque, pour s’éclairer et lire Santé magazine aux toilettes, utilisaient de la graisse animale posée dans le creux d’un omoplate d’ours ou autres, et avec un morceau enflammé de peau bien tressée et trempée dans la graisse.

La bougie était née.

Ou alors l’utilisation de l’arbre pin sylvestre, un résineux fortement saturé en essence, ce qui permettait de faire des torches afin d’avancer plus loin dans les galeries et pour finir il y avait tout simplement les foyers de feux.

L’intelligence et la conscience n’ont jamais changé, c’est juste le matériel qui a évolué.

Intelligence, sagesse et connexion à la nature

Nous ne sommes pas plus ou moins intelligents ; ce qui change, c’est la façon dont nous utilisons l’intelligence qui change, et il est clair que nous avons sacrément perdu en capacité de réflexion et de bon sens.

La sagesse nous a quittés.

Contrairement aux peuples autochtones qui vivent encore dans des forêts primaires, ils gardent une profonde connaissance de la nature et leur façon de vivre est très proche de ce que nous connaissons des Homos sapiens sapiens d’il y a 35 000 ans.

La grotte : un lieu sacré et élitiste

Les inventeurs ont dit : « Plusieurs fois dans la grotte, nous ressentirons cette impression de profanation d’un lieu réservé à une élite. »

La cavité résonne d’une ambiance particulière.

Il nous semble déambuler dans un monde spirituel, un lieu de médiation entre les humains et les esprits de la nature. Un lieu sacré.

Résonances personnelles et appel aux chamans

Lorsque j’ai visité la grotte, je ne savais pas que Jean-Marie, Eliette et Christian, avaient pu ressentir de telles choses et je dois avouer que mes sentiments résonnaient bien de la même façon.

L’impression de ne pas être invité à entrer dans cet espace magique.

Tout comme les chamans qui vivent dans la forêt amazonienne et qui sont les seuls à être capables de communiquer avec les animaux, les plantes et les ancêtres.

Je suis persuadé qu’ils pourraient comprendre le sens artistico-spirituel, et il serait vraiment intéressant qu’un chaman puisse entrer en transe directement dans la véritable grotte Chauvet et nous faire part de sa compréhension, car le langage du cœur et des esprits n’a pas d’âge, il est et sera toujours le même, il est au-delà des mots

Signification spirituelle selon les Bushmen

Les Bushmen qui utilisent des ocres pour peindre des mains positives et négatives, par exemple, ou même des animaux, expliquent que la grotte, c’est l’absolu, la matrice du monde vivant, et que les animaux prennent naissance à partir des parois.

Parois qui ressemblent déjà à la base à telle ou telle partie du corps d’un animal.

Le soutirage – La mort programmée de la grotte

Dans cette même salle du panneau des chevaux et autres joyeusetés à quatre pattes (comme Raymonde le samedi soir au « Mambo »), il existe un grand soutirage (le soutirage est un gros trou, un système naturel qui dévore la grotte par aspiration douce et lente, rien à voir d’ailleurs avec Raymonde). Les matières glissent dans le soutirage ; c’est le système que la nature a inventé pour que même le monde minéral puisse un jour trouver la mort…

En montagne, c’est l’érosion et la gélifraction qui œuvrent dans ce sens. Lorsque l’on sait que les atomes qui constituent le monde (comme notre propre corps) sont toujours les mêmes depuis des milliards d’années (de la poussière d’étoiles), et que de ce fait nous sommes un peu des plantes, des arbres, des dinosaures, mais aussi les humains de ce temps passé, c’est une idée fascinante.

La calcite recouvre la mémoire

La calcite commence le travail avant le soutirage, puisqu’elle s’affaire à recouvrir de nombreuses peintures et dessins au charbon, ne les rendant maintenant que peu visibles. Car il faut aussi comprendre que 90 % des cristallisations n’étaient pas présentes lors de la venue de l’entreprise de peinture : SAS « Sapiens ça peint » ! De mère en fille ! Oui, car, d’après certaines études, il est probable que ce soit une femme l’autrice des peintures dans Chauvet.

Le soutirage va donc se solder par la disparition de la grotte. Tout doit disparaître, avant fermeture !

La fresque des lions et la gifle de l’égo

Nicolas VENTURE - Grotte Chauvet 1 - Ardèche

Après une petite photo de mon corps de spéléologue ciselé et entraîné, version « Cheval Magazine », prise par Jean-Marie devant le panneau des chevaux, nous nous rendons maintenant au clou du spectacle (the show must go on) en empruntant un couloir à taille humaine, dans lequel des foyers de feux sont encore présents, avec les morceaux de charbons posés sur le bord qui ont servi à dessiner.

C’est incroyable de préservation, le sentiment que le dessinateur, pris d’une envie pressante de manger un Mac-Mouth, vient de poser son outil à dessin pour filer se restaurer. Il manque juste la fumée pour vraiment y croire. À force de visiter des grottes, le sentiment que la vie aime rendre le monde théâtral grandit en moi de plus en plus.

Nous voilà au bout du couloir et la fresque des lions explose sous nos yeux, les traits sont totalement incroyables de perfection. Tout est offert afin que l’imagination opère et perçoive les peintures bouger.

Promis juré, j’arrête la vodka fraise-banane-chocolat, je passe dès demain au cassis. « Tu sais ce qu’il te dit, le cassis ?! »

Pour ce dernier panneau, je reste un peu à l’écart, à quelques mètres en arrière, sur la passerelle. D’où je suis, je ne peux voir le plus beau, mais j’attends que le spitch des guides soit fini afin de m’avancer à mon tour pour profiter des beautés et continuer à plonger dans le ressenti intérieur.

Malheureusement, je venais sans le vouloir de toucher le saint Ego de l’homo sapiens sapiens du XXIᵉ siècle ! J’ai laissé passer les inventeurs et les autres invités maintenant sur le retour, et lorsque les guides sont arrivés à ma hauteur et que j’ai voulu m’avancer à mon tour… je me suis pris un vent.

Le choc de l’humain moderne

Car l’un d’eux m’a dit :

« Il y a un temps pour tout et nous sommes limités à deux heures dans la grotte, il fallait te joindre à nous et maintenant il est trop tard, nous devons partir ! »

Chose à laquelle j’ai répondu que je voulais juste prendre une ou deux minutes pour que, moi aussi, je puisse contempler cette fresque qui dépasse notre petitesse à tous… mais non… No comment ! Le règlement, c’est le règlement !

Je dois avouer que cet événement m’a un peu attristé sur le moment, pour des raisons plus profondes que l’incident en lui-même. C’est le manque de bienveillance qui a été dur pour moi, ce manque d’intelligence du cœur qui est justement dû au fait que nous favorisons toujours et encore la connaissance intellectuelle plutôt que celle du cœur.

L’expérience qui reste : le ressenti

Quand je faisais du guidage spéléo avec 9 personnes et que nous allions visiter de véritables grottes non aménagées, je leur proposais de pratiquer ensemble de petites séances de méditation dans le noir total.

Après 25 ans de pratique, j’ai reçu les adolescents devenus maintenant adultes et accompagnés cette fois par leurs enfants, et ce dont ils se souvenaient de leur visite 25 ans plus tôt, n’était jamais de l’ordre de la connaissance intellectuelle mais toujours de l’ordre du ressenti.

Ils se souvenaient toujours de l’expérience dans le noir, du calme intérieur qui parfois faisait pleurer certains. Par contre, l’histoire géologique de l’Ardèche

Vous pouvez répéter la question !?

Spiritualité et conscience

Heureusement, cet incident diplomatique n’est qu’un infime détail en comparaison de toutes ces beautés incroyables et de cette atmosphère spirituellement puissante et transformatrice que j’ai eu l’immense chance de goûter. D’autant plus que les deux guides sont des personnes humainement adorables.

Je pense que nous devrions toutes et tous avoir la possibilité de visiter la véritable grotte Chauvet afin de réveiller en nous le potentiel de conscience. Mais non… car la plupart des personnes qui protègent et étudient la grotte Chauvet ne laissent que peu de place à la dimension spirituelle de l’ensemble. Et même dans la reconstitution, ce ne sont que peu de mots sur le sujet.

Et, de toute façon, il n’est pas possible de comparer les deux : cela reviendrait à comparer le ressenti devant une photo du Grand Canyon aux États-Unis et le fait d’être physiquement devant le Grand Canyon lui-même…

Ou, comme le dit si bien la sainte indienne Amma :

« Il n’est pas possible de goûter le miel en léchant un papier sur lequel il est écrit le mot miel. »

Derniers instants

La reconstitution est intéressante pour se rendre compte de la beauté des peintures et des gravures, mais cela n’offre malheureusement pas l’ambiance spirituelle incroyable.

Nous voilà donc sur le chemin du retour, de retour d’un lieu où le temps n’existe pas, et pourtant nous sommes soumis à un cahier des charges strict : pas plus de deux heures dans la grotte…

La norme est imposée en raison de la présence de gaz carbonique et maintenant de radon (gaz radioactif de type C232) qui se dégrade dans l’atmosphère en 24 heures, ce qui laisse le temps aux visiteurs de l’inhaler et de craindre avec le temps la formation d’un cancer des poumons. C’est la deuxième cause de mortalité aux États-Unis. Pas de chiffres en France, mais des lois qui imposent des règles, comme le fait que les guides dans les grottes aménagées doivent porter des dosimètres afin de contrôler la dose reçue chaque jour.

En reprenant le chemin vers l’entrée, je savoure les derniers instants dans ce cadre si mystérieux, avec le fait que c’est peut-être la première et la dernière fois que j’entre dans ce lieu.

J’ai un pincement au cœur, déjà en tant que spéléologue de passion et de métier, mais aussi car c’est un peu de moi-même que je laisse là derrière moi.

Voilà, je suis Nicolas Venture et j’ai visité la véritable grotte Chauvet.


Guide des Grottes en Ardèche

Ce que Nicolas ne dit pas — parce qu’il est trop modeste —, c’est que cette visite, rare, presque sacrée, nous rappelle pourquoi nous faisons tout cela : explorer, documenter, transmettre.

Pas seulement pour apprendre, mais pour ressentir. La grotte Chauvet 1, dans son silence, dans ses lions figés et ses foyers éteints, est un miroir tendu vers notre propre humanité. Merci Nicolas de t’être fait le messager de ce monde enfoui, invisible mais vivant. Et si un jour les guides ne t’accordent pas ces deux minutes de contemplation, sache que, nous, lecteurs, on te les accorde mille fois.

Et pour celles et ceux qui rêvent de retrouver ce frisson brut — celui d’une grotte sans néon, sans voix-off, sans troupeau pressé —, qu’ils sachent qu’un lieu existe. En Ardèche. Sans guide, sans lumière artificielle, sans pression.
Une grotte libre, gardée par deux âmes aussi passionnées qu’invisibles : Nicolas et Virginie.

L’Aven Forestière, c’est ce que Chauvet serait si l’on vous en confiait les clés.

À la prochaine aventure, là où le wifi ne passe pas, mais où la lumière intérieure jaillit.

— Alain TERIEUR
Explorateur du silence… et de la lumière.